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Cultures dédiées en biométhanisation : Que faut-il savoir ? - Partie 1

Analyse
17.12.2019

En 2019, le maïs provenant de cultures énergétiques ne représente qu’une proportion infime (0,1%) de la surface agricole wallonne. Malgré le fait que ce type de maïs a peu d’impact sur la production alimentaire, chaque nouveau projet en bioénergies (notamment projet de biométhanisation) fait débat. Par cette analyse, nous souhaitons apporter des éléments de réponses et des pistes de réflexion pour faciliter les échanges sur cette thématique sensible.

De quelles cultures énergétiques parle-t-on ? Quelles sont les surfaces concernées en Wallonie ? Quels sont les avantages et inconvénients de ces cultures ? Et quelles conclusions en tirer ?

Qu’entend-t-on par cultures énergétiques ?

Une culture énergétique, comme son nom l’indique, est une culture qui vise à produire de la biomasse qui sera principalement valorisée en énergie.

On distingue les cultures annuelles telles que les betteraves (le plus souvent semi-sucrière, semi-fourragère), le maïs ou les céréales (pouvant être récoltées immatures), des cultures pérennes qui peuvent également avoir une vocation énergétique comme la silphie, le miscanthus ou le taillis à (très) courte rotation.

La biomasse issue de cultures énergétiques peut être valorisée de différentes façons :

  • En biométhanisation, afin de produire du biogaz (et donc de l’énergie) à partir de maïs, de betteraves ou de seigle par exemple.
  • En tant que biocarburant (biodiesel et bioéthanol), à partir de froment, betteraves, colza, etc.
  • Dans des chaudières et via d’autres procédés comme la combustion et la gazéification (par exemple, en cogénération biomasse) pour la biomasse solide (lignocellulosique) comme le miscanthus, le taillis à (très) courte rotation, etc.
Bon à savoir

Dans le cas des biocarburants, on parlera de :

Biocarburants de 1ère génération pour les carburants issus de cultures (froment, betterave...), et plus particulièrement leurs « organes de réserve », c’est-à-dire la partie de plante modifiée spécifiquement pour lui permettre de stocker de l'énergie ou de l'eau (grains, fruits, tubercules). Ceux-ci sont donc produits à partir de matières qui peuvent être utilisés dans une chaîne alimentaire animale ou humaine. Biocarburants avancés, faisant référence aux biocarburants de :

  • 2e génération pour les carburants issus de l’entièreté de la plante, et plus particulièrement les matières lignocellulosiques (bois, paille, etc.), les coproduits de cultures ou les déchets. Les matières utilisées ne rentrent donc pas directement dans la production alimentaire.
  • 3e génération pour les carburants issus de la production de micro-algues ou de micro-organismes.

A côté des cultures énergétiques, rappelons que d’autres cultures comme le lin, le chanvre textile ou une partie du froment (pour les carburants ou une partie de la production de l’industrie de l’amidonnerie) ne sont pas à vocation alimentaire. On parle alors de « cultures dédiées ».

L’herbe est un cas particulier et sa classification en culture énergétique n’est pas simple. Elle peut en effet être cultivée de deux manières : les prairies permanentes (surface enherbée depuis plus de cinq ans, sans rotation) et les prairies temporaires (rotation entre une et cinq années). Si l’herbe est fauchée, elle est récoltée entre deux et quatre fois par an en moyenne. Elle peut donc être une culture – uniquement – à vocation énergétique  (toutes les coupes seront utilisées) ou partiellement (les dernières coupes seront utilisées en énergie, les premières étant réservées à l’alimentation animale).

A côté des cultures dédiées, la biomasse résiduelle couvre une grande diversité de ressources : les résidus de cultures, les résidus forestiers, les effluents d'élevage, les résidus industriels, les déchets urbains et les eaux usées. A l’heure actuelle, ces résidus représentent la grande majorité de la production de bioénergies (hors biocarburants de 1ère génération).

Parallèlement, en Wallonie, une ressource énergétique complémentaire aux cultures vivrières  pourrait s’implanter. Il s’agit des cultures intermédiaires à vocation énergétique communément appelées « CIVEs ». Les CIVEs sont des cultures implantées entre deux cultures principales, comme le serait une culture intermédiaire visant à piéger les nitrates ou les engrais verts. A la seule différence qu’une CIVE doit être récoltée pour être valorisée sous forme d’énergie, le plus souvent en biogaz. En termes d’occupation des sols, l’objectif est de produire trois cultures en deux ans, dans le respect du sol et du cycle du carbone. A noter que les CIVEs pourraient également être intégrées dans des cycles plus longs, par exemple une culture à vocation énergétique sur une rotation de trois ans. Des recherches sont actuellement en cours afin de trouver les rotations et les espèces/mélanges à privilégier.

Les cultures énergétiques biométhanisées en Wallonie

Pour la biométhanisation, en 2017, environ 450 à 500.000 tonnes d’intrants[1] sont traitées annuellement dans des unités de types agricoles ou de traitements des déchets ménagers ou agro-alimentaires[2]. Cette quantité d’intrants permet de produire 104 GWhél sur les 179 GWhél produits par l’ensemble de la filière biométhanisation. Parmi ces intrants, environ 30 à 40.000 tonnes[3] sont des cultures dédiées : soit du maïs, soit de l’ensilage d’herbes. Cela représente environ 1.000 hectares, soit 0,1 % de la surface agricole utile wallonne (SAU) qui est de 715.426 hectares. En comparaison, le lin occupe 11.113 hectares (1 %) et le maïs fourrager 51.069 hectares (7 % dont 1 % à destination de la biométhanisation)[4]. Cela signifie également que plus de 90 % des matières actuellement utilisées sont des déchets agroalimentaires ou des effluents d’élevage.  

Dans l’hypothèse où l’ensemble des unités agricoles ou de traitements des déchets (ménagers ou agro-alimentaires) fonctionne uniquement avec du maïs, environ 250.000 tonnes seraient nécessaires. Ce qui équivaut à 5.500 hectares (soit 0,8 % de la SAU wallonne). En l’état, le risque est donc limité, qui plus est dans un paysage où les déchets, les coproduits de cultures et les effluents sont en grande partie disponibles.

A l’heure actuelle, il n’existe pas de limitations d’utilisations de cultures énergétiques dans le droit wallon. A l’échelle du territoire, il existe un organisme référent en la matière : le Comité Transversal de la Biomasse. Ce dernier a notamment pour mission de remettre un avis sur tout projet relatif à une valorisation énergétique de la biomasse, en ce compris les projets de biométhanisation. Son avis porte sur la durabilité du projet sous l’angle des intrants et conditionne la réservation des certificats verts.

Et ailleurs ?

En Europe, l’Allemagne et la France ont adopté des politiques différentes en matière de développement de la filière biométhanisation et de production de cultures à vocation énergétique.

En Allemagne[5], leader européen incontestable de la filière biométhanisation, on a privilégié le modèle des cultures dédiées. En 2013, ces dernières occupaient 1,1 million d’hectares (soit 7 % de la SAU allemande) et représentaient les ¾ du tonnage d’intrants pour le biogaz et plus de 90 % de l’énergie produite. Dès 2004, cette politique a favorisé l’utilisation du maïs énergétique en octroyant un prix de rachat de l’électricité plus élevé pour son utilisation. Cela a notamment permis le développement rapide de la filière : 10.849 unités de production de biogaz installées en 2017 sur un total de 17.662 unités existantes en Europe.

L’un des impacts de cette politique a été la conversion importante de terres agricoles en monoculture de maïs qui a eu pour conséquence d’attiser les débats sur les cultures énergétiques au sein de la population. Résultat, en 2012, l’Allemagne a changé de cap en privilégiant l’utilisation de déchets et d’effluents d’élevage en biométhanisation. De plus, une loi plafonne désormais l’utilisation du maïs à un maximum de 60 % dans la ration.

Comparativement, la France a – elle aussi – adopté des mécanismes de soutien pour les projets de biométhanisation. S’inspirant de l'expérience allemande, elle a – quant à elle – choisi d’imposer un plafond inférieur aux gestionnaires d’installations de biométhanisation en matière d’approvisionnement de cultures alimentaires ou énergétiques.

Depuis 2016, pour bénéficier des tarifs subsidiés, la France autorise un seuil maximal de 15 % de cultures principales dans les digesteurs (en tonnes de matière fraiche par an, flexible sur une période de trois ans), tout en octroyant des tarifs préférentiels en cas d’usage de déchets, de coproduits agricoles ou encore de CIVEs. Cela permet de compenser les variabilités de rendements agricoles[6]

En France, les cultures dédiées sont considérées comme étant « soit présentes le plus longtemps sur le cycle annuel, soit identifiable entre le 15 juin et le 15 septembre sur la parcelle, en place ou par ses restes, soit commercialisée sous contrat »[7]. Pour cette raison, les cultures intermédiaires à vocation énergétique, les prairies permanentes, et les cultures provenant de certaines zones reconnues contaminées (et ne pouvant être mises sur le marché pour raisons sanitaires) sont tolérées sans limite.

Les atouts des cultures énergétiques

Pour les porteurs de projet
  • Maîtrise d’approvisionnement et stockage : La principale raison d’utiliser les cultures énergétiques est la sécurité d’approvisionnement qu’elles offrent, ainsi que leurs capacités de stockage sur de longues périodes (à l’échelle de l’année). En effet, même lors de mauvaises années (moins bon rendement et/ou moins bonne qualité), ces cultures sont présentes et sont stockables aisément. En comparaison, les déchets agro-alimentaires sont moins longtemps stockables en raison d’une rapide dégradabilité (quelques jours à quelques semaines).
  • Qualité constante : Leur composition et leur qualité sont constantes au sein d’un même lot (même pour un lot non accepté en alimentation animale), permettant une meilleure gestion de l’alimentation du digesteur. Il est également très rares de trouver des indésirables (métaux, pierres, déchets, etc.) dans ces matières. En effet, dans les déchets agro-alimentaires, il peut avoir des restes de plastique ; dans les effluents d’élevage, des cornes, des cordes de ballot, etc., qui peuvent provoquer des dégâts sur les équipements et des interruptions de production.
  • Rendement élevé : Le choix de la culture dédiée utilisée s’effectue selon son rendement (à l’hectare et au biogaz produit), sa facilité de mise en œuvre et son coût. Le maïs est souvent privilégié, en raison de sa facilité de stockage, et de son prix relativement stable.
  • Bonne densité énergétique : Ces matières ont également une grande densité énergétique par rapport à d’autres matières, comme les effluents. Cela a pour conséquence de nécessiter une taille de digesteur plus petite qu’avec des matières moins denses énergétiquement, se traduisant en investissements plus faibles. Les coûts d’exploitation seront également réduits, comme le transport, l’autoconsommation énergétique de l’unité ou encore le besoin de main d’œuvre. Par contre, cela nécessite des coûts d’achat de matières plus importants.
  • Intérêt biologique : il fournit des fibres au digesteur qui permettent aux microorganismes de se fixer et se maintenir en suspension dans le mélange, améliorant ainsi le contact entre les bactéries et leur aliment. Ceci n’est pas indispensable mais peut faciliter le processus dans le cas de l’emploi d’un substrat très liquide, comme par exemple du lisier sans paille.
Pour l’agriculteur « fournisseur »
  • Diversification et prévisibilité des revenus : Les agriculteurs contractualisent des cultures sur une ou plusieurs années, avec un prix fixé et leur permettant d’être rentables, ce qui leur permet d’accroitre leur indépendance vis-à-vis des circuits de commercialisation habituels, et notamment des marchés mondiaux (comme c’est le cas pour certaines cultures alimentaires).
Pour les financeurs 
  • Pour les banquiers et autres investisseurs d’un projet de biométhanisation, une proportion de cultures énergétiques dans un projet de biométhanisation représente une sécurité d’approvisionnement, assurant in fine des rentrées financières et donc le remboursement de leur prêt.

Les risques liés à la culture du maïs

Du point de vue agronomique

La culture du maïs est souvent décriée. Il s’agit d’une culture fortement demandeuse d’azote, nécessitant donc une fertilisation importante. A contrario, elle nécessite peu de désherbage et donc peu d’herbicides.

Le risque principal concerne l’érosion[8]. En effet, un sol soumis à l’érosion perd son potentiel agricole car la terre est arrachée et transportée ailleurs. En résultent, notamment, un risque de perte d’éléments nutritifs vers les cours d’eau et des dégâts au niveau des infrastructures (notamment les routes). Afin de pallier à ce type de problématiques, de nouvelles techniques culturales sont en cours de développement. Elles visent par exemple à modifier les pratiques agricoles ou implanter en même temps des couverts.

Du point de vue de sa durabilité

Afin d’objectiver la pertinence de l’utilisation de la culture de maïs (ou toute autre cultures, matières, coproduits, déchets) comme intrant pour la biométhanisation, il peut être intéressant d’utiliser une méthode telle que l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), ou encore le Bilan Carbone. En effet, les pratiques agronomiques, la distance de transport nécessaire ou encore l’effet de la culture sur le carbone du sol impactent le bilan global des Gaz à effet de serre (GES). D’autres impacts concernant par exemple la qualité des sols peuvent aussi entrer en considération.

La Directive des Energies Renouvelables, communément appelée RED II instaure des critères de durabilité pour l’ensemble des combustibles issus de la biomasse (pour le transport, production de chaud/froid et d’électricité)[9].

La Directive présente une méthodologie de calcul permettant d’évaluer le gain des émissions de GES.

Méthodologie de calcul - Emission de GES

Les émissions de GES résultant de la production et de l’utilisation de combustibles issus de la biomasse avant la conversion en électricité, chauffage et refroidissement sont calculées selon la formule suivante :

E = eec + el + ep + etd + eu – esca – eccs – eccr

Sachant que :

E     =   le total des émissions résultant de la production du combustible avant la conversion de l’énergie,

eec   =   les émissions résultant de l’extraction ou de la culture des matières premières,

el     =   les émissions annualisées résultant de modifications des stocks de carbone dues à des changements dans l’affectation des sols,

ep    =   les E. résultant de la transformation,

etd    =   les E. résultant du transport et de la distribution,

eu    =   les E. résultant du carburant utilisé,

esca  =   les réductions E. dues à l’accumulation du carbone dans les sols grâce à une meilleure gestion agricole,

eccs  =   les réductions des E.dues au piégeage et au stockage géologique du CO2

eccr  = les réductions des E. dues au piégeage et à la substitution du CO2.

A noter : Certains de ces paramètres sont déjà pris en compte dans le calcul des certificats verts. L’enjeu est de considérer tous les impacts périphériques de l’emploi de ces cultures à des fins énergétiques.

Conclusion

Le maïs énergétique, et plus largement les cultures à vocation énergétique, a plusieurs avantages : meilleure maîtrise de l’approvisionnement et du stockage, qualité constante, bonne densité énergétique… Le maïs constitue donc certainement un intrant intéressant lorsqu’il est mélangé avec d’autres matières et/ou déchets.

La production de cultures dédiées reste un débat à objectiver. Certes, leur utilisation actuelle en biométhanisation est faible, mais cela ne doit pas occulter le besoin de rationaliser les prises de décisions quant à leur acceptation.

Favoriser les flux annexes (déchets, coproduits agroalimentaires, coproduits de cultures, cultures intercalaires) permettra d’apporter des impacts positifs en termes de bilan de GES. Une rémunération différentielle basée sur ce critère pourrait être la clé du débat, limitant automatiquement l’attractivité des cultures énergétiques dédiées.

Tous les grands scénarios visant une société bas carbone ou neutre à l’horizon 2050[10] prévoient une augmentation de l’utilisation de la biomasse dans des applications non-alimentaires (augmentation de la production/consommation des bioénergies et des produits biobasés). Le récent projet de Plan Air Climat Energie 2030 wallon porte également sur l’importance de la cohabitation des différents usages de la biomasse agricole, qu’ils soient alimentaires ou non alimentaires. Dans la société bas carbone que nous appelons tous de nos vœux, l’agriculture de demain devra être pourvoyeuse de denrées alimentaires, mais également d’énergie, et de produits et matériaux biobasés. Pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de GES, la Wallonie devra pouvoir compter sur la biométhanisation et les cultures énergétiques. D’une nécessaire réflexion stratégique et holistique sur l’agriculture de 2030/2050 devront émerger des choix judicieux qui orienteront l’encadrement de la filière. Si le défi est immense, les opportunités le seront tout autant.


[1] Chiffres collectés par ValBiom auprès des porteurs de projet.

[2] Chiffre correspondant aux unités catégorisées en Agricole, Agricole-micro, FFOM et IAA-déchets, décrites dans le « Panorama de la filière biométhanisation en Wallonie » disponible sur www.monprojet.labiomasseenwallonie.be/biomethanisation  

[3] Les tonnes mentionnées dans l’ensemble de l’analyse sont exprimées en tonne de matières fraiches (TMF). Lorsqu’un pourcentage de ration est indiqué, il est calculé sur base du tonnage en matières fraîches.

[4] Source : Statistiques agricoles en Wallonie 2018 (chiffres 2016)

[7] Source : Décret n° 2016-929 du 7 juillet 2016 pris pour l'application de l'article L. 541-39 du code de l'environnement, Art. D. 543-291

[8] Source : Sols et déchets – SPW Environnement, DPS

[9] Analyse : L’Europe trouve un accord sur la révision de la Directive des Energies Renouvelables – ValBioMag, 02.09.2018

[10] Source : A Clean Planet for all - A European strategic long-term vision for a prosperous, modern, competitive and climate neutral economy – Commission européenne, 28.11.2018

Note de la rédaction

Cette analyse a été réalisée dans le cadre de notre convention de Facilitateur bioénergies pour la Wallonie, SPW Énergie.

Cette convention a pour objectif d'assurer des missions d’expertise, de sensibilisation et de soutien aux acteurs de la filière et porteurs de projet, et d'assurer un relais auprès du Service Public de Wallonie.